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Celui-là, plus à plaindre, a perdu les deux yeux,
Et, plongé dans la nuit, du borgne est envieux.
Cet autre, tout perclus, d’une main étrangère,
Reçoit la nourriture à ses jours nécessaire,
Et ne sait, à l’aspect de l’aliment offert,
Que présenter la bouche à la main qui le sert,
Semblable en ce moment à la jeune hirondelle
Que revoit, le bec plein, sa mère à jeun pour elle.
Mais c’est peu : son cerveau vient de se déranger ;
Dans sa maison pour lui tout devient étranger ;
Celui dont l’amitié lui fut longtemps si chère,
Qui près de lui soupait encor la nuit dernière,
Ses meilleurs serviteurs, il ne sait plus leur nom ;
Ses fils même, l’objet de son affection,
Il les chasse ; et, séduit par une courtisane,
Transporte tous ses biens à l’impure Cyane :
Tant peut causer de maux le souffle dangereux
D’une Phryné vieillie en un bouge hideux !

Mais je veux qu’à la fin d’une longue carrière,
L’homme ait pu conserver son énergie entière :
D’autant plus malheureux qu’il vécut plus longtemps,
Que de tristes objets affligent ses vieux ans !
Entouré de cyprès et d’urnes funéraires,
Chaque instant lui ravit ou ses sœurs ou ses frères ;
Son épouse n’est plus, ses fils sont au cercueil ;
Il sèche dans les pleurs et vieillit sous le deuil.
Le sage de Pylos, si l’on en croit Homère,
Des jours de la corneille atteignit la chimère.
Il vécut si longtemps, et de pampres nouveaux
Vit tant de fois l’automne ombrager ses coteaux,
Qu’épuisant tout le fil des parques étonnées,
Déjà sur sa main droite il comptait ses années.
Sans doute vous croyez que Nestor fut heureux.
Eh bien ! prêtez l’oreille à ses cris douloureux,
Écoutez ses sanglots, lorsqu’aux murs de Pergame,