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II


Mais tout à coup je sens, dans l’espace houleux,
Comme deux grandes mains ardentes et profondes,
Deux vastes mains pesant de leurs doigts fabuleux
Sur tout mon corps, sur tout mon ciel, sur tous mes mondes !

Je sens avec stupeur que mon être se fond
Rapetisse, décroît sous les deux mains de flamme ;
Et que tragiquement ces deux mains là, me font
Rentrer de lourds monceaux d’astres brisés dans l’âme !

Et je deviens petit, de plus en plus petit,
Et je crie, et je sens la paume impitoyable
Des deux mains qui m’écrase et qui s’appesantit,
Pétrissant dans mon corps l’univers effroyable !

Et je me rapetisse encore, en comprimant
Dans mon sein éperdu les géantes étoiles !
Et je redeviens homme épouvantablement !
Homme : et je sens les dieux enfermés dans mes moelles !

Et j’éclate, et je geins, et les globes amers
Me font craquer la peau de leurs masses grenues ;
Et j’ai mal aux soleils, et je souffre des mers,
Et je me sens pleurer vaguement dans les nues !

Mais alors, oh ! qu’entends-je ? Une ineffable voix !
La voix de la Nature, harmonique et puissante !
Et cette voix me parle, et, radieux, je vois
Les deux Mains s’imposer sur ma tête pesante !