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lifornie, ne me tenterait pas. Mais entrons dans la prairie, nous serions moins exposés aux regards indiscrets des passants.

Quand nous fûmes dans la prairie nous longeâmes la haie d’aubépine, chassant devant nous les rouges-gorges attardés dans les branches. Au bout d’un instant je lui offris mon bras ; elle le prit et s’y appuya frémissante. Oh ! c’est un doux moment que celui où, pour la première fois, on sent à son bras la femme que l’on aime ! Nous étions déjà à l’extrémité de la haie, et nous n’avions pas encore repris notre conversation. Il est des situations où la bouche ne cherche plus les mots pour traduire les émotions de l’âme.

Durant ce temps-là, semblable à un jeune faon, qui s’éloigne de sa mère pour gambader et essayer ses forces, Nino courait à travers l’herbe humide de rosée. Il poursuivait les papillons et se désespérait de ne pouvoir les atteindre. Enfin il parvint à en prendre un, et tout triomphant, il vint nous le présenter comme nous retournions sur nos pas. Pia, le saisissant par les ailes et l’approchant de mon visage, me dit avec une grâce charmante et naïve :

— C’est ainsi que je voudrais pouvoir vous tenir, papillon volage ; je n’aurais plus à craindre de vous voir voltiger des Américaines aux Françaises.

— Reconnaissez que l’homme et la femme ainsi enchaînés n’auraient pas grand mérite à rester fidèles et sages. La vertu, pour être la vertu, a besoin d’un peu plus de liberté.

— Je le reconnais ; mais je me contenterais