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— Si le bonheur vous a manqué, il vous en reste bien d’autres.

— Ah ! mon ami, il n’y a plus de bonheur pour moi ; il s’est envolé à tout jamais. Ce n’est pas pour longtemps que Dieu envoie ses anges sur la terre.

— Que voulez-vous dire, cher Carlo ? demandai-je avec une véritable anxiété.

— Rien… rien… Mais regardez-moi, et vous comprendrez, peut-être.

Je le fixai et je m’aperçus alors que ses cheveux avaient presque blanchi. — Il n’avait pas plus de vingt-cinq à vingt-six ans. — Ses yeux fatigués, enfoncés dans leurs orbites, laissèrent tomber sur moi un regard si triste que je me sentis ému jusqu’aux larmes, et je lui dis : Quel que soit votre malheur, je vous plains.

Il me serra convulsivement la main, et ne prononça que ces mots : Merci ! merci ! mon ami.

Après un moment de silence, il me demanda : Travaillez-vous toujours ?

— Oui, répondis-je, toujours un peu ; mais sans espérer grand’chose de mes efforts. Plus je vais, plus il me semble que l’art est un arbre immense dont les fruits d’or sont placés trop loin de ma portée pour que je puisse les atteindre. Et vous, mon cher Rinaldi, que faites-vous maintenant ?