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par l’intermédiaire de Francis et Charles Austen avec quelques familles de marins. Mais la vie et les allures plutôt libres de cette société de grand port militaire paraissent lui avoir déplu. Habituée aux manières un peu précieuses d’une petite ville de province, elle trouve, ou du moins fait trouver à son héroïne Fanny Price, « les hommes grossiers, les femmes impertinentes, les unes et les autres mal élevés » [1].

Peut-être aussi, Jane, qui avait maintenant dépassé trente ans, ne prenait plus autant de plaisir aux réunions mondaines. Les hommages des jeunes gens allaient à de plus jeunes femmes ; sans en devenir aigrie, elle pouvait ressentir quelque amertume à cette transition d’une jeunesse très adulée à la sagesse forcée de l’âge mûr, et perdre quelquefois un peu de son indulgence. Si elle va encore aux bals, elle n’y danse plus que rarement. « Tu ne t’attends pas à apprendre que j’ai été invitée à danser, et pourtant cela est », écrit-elle en 1808, à Cassandra. Elle se considère comme une vieille fille et se met à en porter le petit bonnet traditionnel. Elle l’adopta même un peu plus tôt que ne l’exigeaient les mœurs du temps. Elle prétendait que c’était pour s’épargner la peine de se coiffer, mais l’excuse ne semble pas très sincère chez une femme aussi coquette. Ne serait-ce pas plutôt, qu’experte à saisir les ridicules d’autrui, elle avait une crainte extrême de prêter elle-même à rire, surtout par un travers aussi commun que l’obstination impuissante à rester toujours jeune ? Quoi qu’il en soit, elle dut se soumettre à l’inévitable avec une certaine philosophie, si c’est sa propre pensée que nous traduit Emma répondant à sa jeune amie Harriet. « Je ne suis pas effrayée de devenir une vieille fille ; je ne serai jamais une vieille fille pauvre, et c’est la pauvreté qui rend le célibat ridicule aux yeux du généreux public. On regarde

  1. Mansfield Park.