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anxiétés qui déchirent, les jalousies que ne peut maîtriser ni la bonté ni la raison, tous les sentiments qui naissent d’un amour caché et ignoré. La moindre attention la rend heureuse et c’est bien elle qui pourrait répéter la phrase touchante de La Bruyère. « Être avec les gens qu’on aime, cela suffit ; rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d’eux, tout est égal ». C’est un ravissement pour elle de rester le soir accoudée à la fenêtre à côté de son cousin, en regardant les mêmes étoiles, et de retrouver ensemble leurs noms qu’il lui a appris autrefois.

Élevée par charité, soumise aux caprices de son entourage, elle est empressée sans obséquiosité, affectueuse sans hypocrisie. Rarement invitée à se joindre aux conversations, elle est satisfaite d’être à l’écart ; et elle trouve dans ses propres pensées et ses propres réflexions ses meilleurs compagnons, lorsque son cousin Edmund n’est pas là. Ce repliement continuel en elle-même développe chez elle une sensibilité délicate, un bon sens clairvoyant, et elle devient la consolatrice, la sage conseillère vers laquelle se tourne dans le malheur la famille désorientée.

Toute autre nous apparaît Emma. C’est la jeunesse même avec son exubérance et son étourderie. C’est l’enfant gâtée, joyeuse, écervelée, pleine de bonnes qualités qui la font aimer de tous, de caprices que chacun supporte en souriant, bon cœur et mauvais caractère, intelligente mais ne faisant que des sottises. Elle nous amuse, nous réjouit, nous enchante par sa vivacité ; il semble qu’elle rayonne de la joie autour d’elle.

— « Et ses yeux avec leur jolie couleur noisette sont-ils assez brillants ? Et ses traits réguliers et sa physionomie ouverte ! Et son teint où éclate la santé, sa taille si bien proportionnée, si élégante, si svelte ! Tout est sain en elle, visage, allure, expression et regards. On dit