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Indigne également de vivre et de mourir,

On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir.

L'autre, trop redoutable, et trop digne d'envie,

Voit sans cesse Amurat armé contre sa vie.

Car enfin Bajazet dédaigna de tout temps

La molle oisiveté des enfants des sultans.

Il vint chercher la guerre au sortir de l'enfance,

Et même en fit sous moi la noble expérience.

Toi-même tu l'as vu courir dans les combats

Emportant après lui tous les cœurs des soldats,

Et goûter, tout sanglant, le plaisir et la gloire

Que donne aux jeunes cœurs la première victoire.

Mais malgré ses soupçons, le cruel Amurat,

Avant qu'un fils naissant eût rassuré l'Etat,

N'osait sacrifier ce frère à sa vengeance,

Ni du sang ottoman proscrire l'espérance.

Ainsi donc pour un temps Amurat désarmé

Laissa dans le sérail Bajazet enfermé.

Il partit, et voulut que fidèle à sa haine,

Et des jours de son frère arbitre souveraine,

Roxane, au moindre bruit, et sans autres raisons,

Le fît sacrifier à ses moindres soupçons.

Pour moi, demeuré seul, une juste colère

Tourna bientôt mes vœux du côté de son frère.

J'entretins la sultane, et cachant mon dessein,

Lui montrai d'Amurat le retour incertain,

Les murmures du camp, la fortune des armes;

Je plaignis Bajazet, je lui vantai ses charmes,

Qui par un soin jaloux dans l'ombre retenus,

Si voisins de ses yeux, leur étaient inconnus.

Que te dirai-je enfin? la sultane éperdue

N'eut plus d'autre désir que celui de sa vue.

Osmin

Mais pouvaient-ils tromper tant de jaloux regards

Qui semblent mettre entre eux d'invincibles remparts?

Acomat

Peut-être il te souvient qu'un récit peu fidèle

De la mort d'Amurat fit courir la nouvelle.