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Bérénice

Quoi, pour d’injuſtes loix que vous pouvez changer,
En d’éternels chagrins vous même vous plonger !
Rome a ſes droits, Seigneur ; n’avez-vous pas les vôtres ?
Ses intérêts ſont-ils plus ſacrés que les nôtres ?
Dites, parlez.

Titus

Dites, parlez. Hélas, que vous me déchirez !

Bérénice

Vous êtes empereur, Seigneur, & vous pleurez ?

Titus

Oui, Madame, il eſt vrai, je pleure, je ſoupire,
Je frémis : mais enfin, quand j’acceptai l’empire,
Rome me fit jurer de maintenir ſes droits.
Il les faut maintenir. Déjà, plus d’une fois,
Rome a de mes pareils exercé la conſtance.
Ah, ſi vous remontiez juſques à ſa naiſſance,
Vous les verriez toujours à ſes ordres ſoumis.
L’un, jaloux de ſa foi, va chez les ennemis
Chercher, avec la mort, la peine toute prête.
D’un fils victorieux l’autre proſcrit la tête.
L’autre, avec des yeux ſecs, & preſque indifférens,
Voit mourir ſes deux fils, par ſon ordre expirans.
Malheureux ! Mais toujours la patrie & la gloire
Ont, parmi les Romains, remporté la victoire.
Je ſais, qu’en vous quittant, le malheureux Titus
Paſſe l’auſtérité de toutes leurs vertus ;
Qu’elle n’approche point de cet effort inſigne.
Mais, Madame, après tout, me croyez-vous indigne
De laiſſer un exemple à la poſtérité,
Qui, ſans de grands efforts, ne puiſſe être imité ?

Bérénice

Non, je crois tout facile à votre barbarie.
Je vous crois digne, ingrat, de m’arracher la vie.
De tous vos ſentiments mon cœur eſt éclairci.
Je ne vous parle plus de me laiſſer ici.
Qui, moi ? J’aurois voulu, honteuſe & mépriſée,
D’un peuple qui me hait ſoutenir la riſée ?