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Que Rome vit paſſer au nombre des vaincus
Plus d’un captif, chargé des fers d’Antiochus ;
Que dans le capitole elle voit attachées
Les dépouilles des Juifs par vos mains arrachées.
Je n’attens pas de vous de ces ſanglants exploits ;
Et je veux ſeulement emprunter votre voix.
Je ſais que Bérénice, à vos ſoins redevable,
Croit poſſéder en vous un ami véritable.
Elle ne voit dans Rome, & n’écoute que vous.
Vous ne faites qu’un cœur & qu’une ame avec nous.
Au nom d’une amitié ſi conſtante & ſi belle,
Employer le pouvoir que vous avez ſur elle.
Voyez-la de ma part.

Antiochus

Voyez-la de ma part. Moi, paroître à ſes yeux !
La reine, pour jamais, a reçu mes adieux.

Titus

Prince, il faut que pour moi vous lui parliez encore.

Antiochus

Ah ! parlez-lui, Seigneur ! La reine vous adore.
Pourquoi vous dérober vous-même, en ce moment,
Le plaiſir de lui faire un aveu ſi charmant ?
Elle l’attend, Seigneur, avec impatience.
Je répons, en partant, de ſon obéiſſance ;
Et même elle m’a dit que, prêt à l’épouſer,
Vous ne la verrez plus que pour l’y diſposer.

Titus

Ah ! qu’un aveu ſi doux aurait lieu de me plaire !
Que je ſerois heureux, ſi j’avois à le faire !
Mes tranſports aujourd’hui s’attendoient d’éclater ;
Cependant aujourd’hui, Prince, il faut la quitter.

Antiochus

La quitter ! Vous, Seigneur ?

Titus

La quitter ! Vous, Seigneur ? Telle est ma deſtinée.
Pour elle & pour Titus il n’eſt plus d’hyménée.
D’un eſpoir ſi charmant je me flattais en vain.
Prince, il faut avec vous qu’elle parte demain.