Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
PHEDRE,



Souffrez que pour jamais le tremblant Hippolyte
Disparoisse des lieux que votre épouse habite.

Thésée.

Vous, mon fils, me quitter ?

Hippolyte.

Je ne la cherchois pas ;
C’est vous qui sur ces bords conduisîtes ses pas.
Vous daignâtes, Seigneur, aux rives de Trézène
Confier en partant Aricie & la reine ;
Je fus même chargé du soin de les garder.
Mais quels soins désormais peuvent me retarder ?
Assez dans les forêts mon oisive jeunesse
Sur de vils ennemis a montré son adresse.
Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,
D'un sang plus glorieux teindre mes javelots !
Vous n'aviez pas encor atteint l'âge où je touche,
Déjà plus d'un tyran, plus d'un monstre farouche
Avoir de votre bras senti la pesanteur.
Déjà, de l'insolence heureux persécuteur,
Vous aviez des deux mers assuré les rivages.
Le libre voyageur ne craignoit plus d'outrages.
Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
Déjà de son travail se reposoit sur vous.
Et, moi, fils inconnu d'un si glorieux père,
Je suis même encor loin des traces de ma mère.
Souffrez que mon courage ose enfin s'occuper.
Souffrez, si quelque monstre a pu vous échapper
Que j'apporte à vos pieds sa dépouille honorable ;
Ou que d'un beau trépas la mémoire durable,
Eternisant des jours si noblement finis,
Prouve à tout l'univers que j'étois votre fils.

Thésée.

Que vois-je ! Quelle horreur, dans ces lieux répandue,
Fait fuir devant mes yeux ma famille éperdue ?
Si je reviens il craint, & si peu desiré,
O Ciel, de ma prison pourquoi m'as-tu tiré ?
Je n'avois qu'un ami. Son imprudente flamme
Du tyran de l'Epire alloit ravir la femme.