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Et que pourrais-tu faire?

Sans l'offre de ton cœur, par où peux-tu me plaire?

Quels seraient de tes vœux les inutiles fruits?

Ne te souvient-il plus de tout ce que je suis?

Maîtresse du sérail, arbitre de ta vie,

Et même de l'Etat, qu'Amurat me confie,

Sultane, et ce qu'en vain j'ai cru trouver en toi,

Souveraine d'un cœur qui n'eût aimé que moi:

Dans ce comble de gloire où je suis arrivée,

A quel indigne honneur m'avais-tu réservée?

Traînerais-je en ces lieux un sort infortuné,

Vil rebut d'un ingrat que j'aurais couronné,

De mon rang descendue, à mille autres égale,

Ou la première esclave enfin de ma rivale?

Laissons ces vains discours et sans m'importuner,

Pour la dernière fois, veux-tu vivre et régner?

J'ai l'ordre d'Amurat, et je puis t'y soustraire.

Mais tu n'as qu'un moment: parle.

Bajazet

Que faut-il faire?

Roxane

Ma rivale est ici: Suis-moi sans différer;

Dans les mains des muets viens la voir expirer,

Et libre d'un amour à ta gloire funeste,

Viens m'engager ta foi: le temps fera le reste.

Ta grâce est à ce prix, si tu veux l'obtenir.

Bajazet

Je ne l'accepterais que pour vous en punir,

Que pour faire éclater aux yeux de tout l'empire

L'horreur et le mépris que cette offre m'inspire.

Mais à quelle fureur me laissant emporter,

Contre ses tristes jours vais-je vous irriter?

De mes emportements elle n'est point complice,

Ni de mon amour même et de mon injustice.

Loin de me retenir par des conseils jaloux,

Elle me conjurait de me donner à vous.