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Polynice
Si tu n’en veux ſortir, tu pourras en tomber.

Étéocle
Si je tombe, avec moy tu pourras ſuccomber.

Jocaſte
O dieux ! que je me vois cruellement déçue !
N’avais-je tant preſſé cette fatale vue,
Que pour les déſunir encor plus que jamais ?
Ah ! mes fils, eſt-ce là comme on parle de paix ?
Quittez, au nom des dieux, ces tragiques penſées.
Ne renouvelez point vos diſcordes paſſées :
Vous n’eſtes pas icy dans un champ inhumain.
Eſt-ce moy qui vous mets les armes à la main ?
Conſidérez ces lieux où vous prîtes naiſſance :
Leur aſpect ſur vos cœurs n’a-t-il point de puiſſance ?
C’eſt icy que tous deux vous reçûtes le jour ;
Tout ne vous parle icy que de paix & d’amour :
Ces princes, votre sœur, tout condamne vos haines,
Enfin moi, qui pour vous pris toujours tant de peines,
Qui pour vous réunir immolerais… Hélas !
Ils détournent la teſte, & ne m’écoutent pas !
Tous deux, pour s’attendrir, ils ont l’ame trop dure ;
Ils ne connaiſſent plus la voix de la nature,
(À Polynice.)
Et vous, que je croyais plus doux & plus ſoumis…

Polynice
Je ne veux rien de luy que ce qu’il m’a promis :
Il ne ſauroit régner ſans ſe rendre parjure.

Jocaſte
Une extreſme juſtice eſt ſouvent une injure.
Le troſne vous eſt dû, je n’en ſaurais douter ;
Mais vous le renverſez en voulant y monter.
Ne vous laſſez-vous point de cette affreuſe guerre ?
Voulez-vous ſans pitié déſoler cette terre,
Détruire cet empire afin de le gagner ?
Eſt-ce donc ſur des morts que vous voulez régner ?
Thèbes avec raiſon craint le règne d’un prince
Qui de fleuves de ſang inonde ſa province.