Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome1.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il s’arme contre moy de mon propre deſſein,
Il ſe ſert de mon bras pour me percer le ſein.
La guerre s’allumoit lors que pour mon ſupplice
Hémon m’abandonna pour ſervir Polynice ;
Les deux frères par moy devinrent ennemis,
Et je devins, Attale, ennemi de mon fils.
Enfin, ce meſme jour, je fais rompre la treſve,
J’excite le ſoldat, tout le camp ſe ſoulève,
On ſe bat ; & voilà qu’un fils déſeſpéré
Meurt, & rompt un combat que j’ai tant préparé.
Mais il me reſte un fils, & je ſens que je l’aime,
Tout rebelle qu’il eſt, & tout mon rival meſme.
Sans le perdre, je veux perdre mes ennemis.
Il m’en coûteroit trop, s’il m’en coûtoit deux fils.
Des deux princes d’ailleurs la haine eſt trop puiſſante :
Ne crois pas qu’à la paix jamais elle conſente.
Moi-meſme je ſaurai ſi bien l’envenimer,
Qu’ils périront tous deux plutoſt que de s’aimer,
Les autres ennemis n’ont que de courtes haines,
Mais quand de la nature on a briſé les chaînes,
Cher Attale, il n’eſt rien qui puiſſe réunir
Ceux que des nœuds ſi forts n’ont pas ſu retenir :
L’on hoit avec excès lors que l’on hoit un frère.
Mais leur éloignement ralentit leur colère ;
Quelque haine qu’on ait contre un fier ennemi,
Quand il eſt loin de nous on la perd à demi.
Ne t’étonne donc plus ſi je veux qu’ils ſe voient :
Je veux qu’en ſe voyant leurs fureurs ſe déploient,
Que rappelant leur haine, au lieu de la chaſſer,
Ils s’étouffent, Attale, en voulant s’embraſſer.

Attale
Vous n’avez plus, Seigneur, à craindre que vous-meſme :
On porte ſes remords avec le diadème.

Créon
Quand on eſt ſur le troſne, on a bien d’autres ſoins,
Et les remords ſont ceux qui nous pèſent le moins.
Du plaiſir de régner une ame poſſédée
De tout le temps paſſé détourne ſon idée ;