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Et que tes chatiments paraiſſent infinis,
Quand tu laiſſes la vie à ceux que tu punis !
Tu ne l’ignores pas, depuis le jour infame
Où de mon propre fils je me trouvai la femme,
Le moindre des tourments que mon cœur a ſoufferts
Egale tous les maux que l’on ſouffre aux enfers.
Et toutefois, oſ dieux, un crime involontaire
Devait-il attirer toute votre colère ?
Le connaiſſais-je, hélas ! ce fils infortuné ?
Vous-meſmes dans mes bras vous l’avez amené.
C’eſt vous dont la rigueur m’ouvrit ce précipice.
Voilà de ces grands dieux la ſupreſme juſtice !
Juſques au bord du crime ils conduiſent nos pas,
Ils nous le font commettre, & ne l’excuſent pas !
Prennent-ils donc plaiſir à faire des coupables,
Afin d’en faire après d’illuſtres miſérables ?
Et ne peuvent-ils point, quand ils ſont en courroux,
Chercher des criminels à qui le crime eſt doux ?
Scène 3
Jocaſte, Antigone

Jocaſte
Eh bien ! en eſt-ce foit ? L’un ou l’autre perfide
Vient-il d’exécuter ſon noble parricyde ?
Parlez, parlez, ma fille.

Antigone
Ah ! Madame, en effet,
L’oracle eſt accompli, le ciel eſt ſatiſfait.

Jocaſte
Quoi ? mes deux fils ſont morts !

Antigone
Un autre ſang, Madame,
Rend la paix à l’Etat, & le calme à votre ame ;
Un ſang digne des rois dont il eſt découlé,
Un héros pour l’Etat s’eſt luy-meſme immolé.