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Scène 3
Jocaſte, Polynice, Antigone, Hémon

Polynice
Madame, au nom des dieux, ceſſez de m’arreſter :
Je vois bien que la paix ne peut s’exécuter.
J’eſpérais que du ciel la juſtice infinie
Voudroit ſe déclarer contre la tyrannie,
Et que laſſé de voir répandre tant de ſang,
Il rendroit à chacun ſon légitime rang.
Mais puiſque ouvertement il tient pour l’injuſtice,
Et que des criminels il ſe rend le complice,
Dois-je encore eſpérer qu’un peuple révolté,
Quand le ciel eſt injuſte, écoute l’équité ?
Dois-je prendre pour juge une troupe inſolente,
D’un fier uſurpateur miniſtre violente,
Qui ſert mon ennemi par un lache intéreſt,
Et qu’il anime encor, tout éloigné qu’il eſt ?
La raiſon n’agit point ſur une populace.
De ce peuple déjà j’ai reſſenti l’audace,
Et loin de me reprendre après m’avoir chaſſé,
Il croit voir un tyran dans un prince offenſé.
Comme ſur luy l’honneur n’eut jamais de puiſſance,
Il croit que tout le monde aſpire à la vengeance ;
De ſes inimitiez rien n’arreſte le cours :
Quand il hoit une fois, il veut haïr toujours.

Jocaſte
Mais s’il eſt vrai, mon fils, que ce peuple vous craigne,
Et que tous les Thébains redoutent votre règne,
Pourquoy par tant de ſang cherchez-vous à régner
Sur ce peuple endurci que rien ne peut gagner ?

Polynice
Eſt-ce au peuple, Madame, à ſe choiſir un maître ?
Sitoſt qu’il hoit un roi, doit-on ceſſer de l’eſtre ?