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Et n’eſt-ce pas aſſez du père & des enfants,
Sans qu’il aille plus loin chercher des innocents ?
C’eſt à nous à payer pour les crimes des noſtres :
Puniſſez-nous, grands dieux ; mais épargnez les autres.
Mon père, cher Hémon, vous va perdre aujourd’hui,
Et je vous perds peut-eſtre encore plus que luy.
Le ciel punit ſur vous & ſur votre famille
Et les crimes du père & l’amour de la fille ;
Et ce funeſte amour vous nuit encore plus
Que les crimes d’Œdipe & le ſang de Laïus.

Hémon
Quoi ? mon amour, Madame ? Et qu’a-t-il de funeſte ?
Eſt-ce un crime qu’aimer une beauté céleſte ?
Et puiſque ſans colère il eſt reçu de vous,
En quoy peut-il du ciel mériter le courroux ?
Vous ſeule en mes ſoupirs eſtes intéreſſée :
C’eſt à vous à juger s’ils vous ont offenſée ;
Tels que ſeront pour eux vos arreſts tout-puiſſants,
Ils ſeront criminels, ou ſeront innocents.
Que le ciel à ſon gré de ma perte diſpoſe,
J’en chérirai toujours & l’une & l’autre cauſe,
Glorieux de mourir pour le ſang de mes rois,
Et plus heureux encor de mourir ſous vos lois.
Auſſi bien que ferais-je en ce commun naufrage ?
Pourrais-je me réſoudre à vivre davantage ?
En vain les dieux voudraient différer mon trépas,
Mon déſeſpoir feroit ce qu’ils ne feraient pas.
Mais peut-eſtre, après tout, noſtre frayeur eſt vaine ;
Attendons… Mais voicy Polynice & la reine.