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BRITANNICUS,
Néron.

Que dis-tu ? Sur son cœur il auroit quelque empire ?

Narcisse.

Je ne sais. Mais, Seigneur, ce que je puis vous dire.
Je l’ai vu quelquefois s’arracher de ces lieux,
Le cœur plein d’un courroux qu’il cachoit à vos yeux ;
D’une cour qui le fuit pleurant l’ingratitude ;
Las de votre grandeur & de sa servitude ;
Entre l’impatience & la crainte flottant ;
Il alloit voir Junie, & revenoit content.

Néron.

D’autant plus malheureux qu’il aura su lui plaire,
Narcisse, il doit plutôt souhaiter sa colère.
Néron impunément ne sera pas jaloux.

Narcisse.

Vous ? & de quoi, Seigneur, vous inquiétez-vous ?
Junie a pu le plaindre & partager ses peines,
Elle n’a vu couler de larmes que les siennes.
Mais aujourd’hui, Seigneur, que ses yeux dessillés,
Regardant de plus près l’éclat dont vous brillez,
Verront autour de vous les rois sans diadème,
Inconnus dans la foule, & son amant lui-même,
Attachés sur vos yeux, s’honorer d’un regard
Que vous aurez sur eux fait tomber au hasard ;
Quand elle vous verra, de ce degré de glaire,
Venir, en soupirant, avouer sa victoire :
Maître, n’en doutez point, d’un cœur déjà charmé,
Commandez qu’on vous aime, & vous serez aimé.

Néron.

A combien de chagrins il faut que je m’apprête !
Que d’importunités !

Narcisse.

Quoi donc? Qui vous arrête,
Seigneur ?

Néron.

Tout. Octavie, Agrippine, Burrhus,
Séneque, Rome entière, & trois ans de vertus.