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ANDROMAQVE
HERMIONNE.

C’eſt cet amour payé de trop d’ingratitude,
Qui me rend en ces Lieux ſa preſence ſi rude.
Quelle honte pour moy ! Quel triomphe pour luy,
De voir mon infortune égaler ſon ennuy !
Eſt-ce là, dira-t’il, cette fiere Hermionne ?
Elle me dédaignoit, vn autre l’abandonne.
L’Ingrate, qui mettoit ſon Cœur à ſi haut prix,
Apprend donc à ſon tour à ſouffrir des mépris ?
Ah Dieux !

CLEONNE.

Ah Dieux ! Ah ! diſſipez ces indignes allarmes.
Il a trop bien ſenty le pouuoir de vos charmes.
Vous croyez qu’vn Amant vienne vous inſulter ?
Il vous rapporte vn Cœur qu’il n’a pû vous oſter.
Mais vous ne dites point ce que vous mande vn Pere.

HERMIONNE.

Dans ſes retardemens ſi Pyrrhus perſeuere,
À la mort du Troyen s’il ne veut conſentir,
Mon Pere auec les Grecs m’ordonne de partir.

CLEONNE.

Hé bien, Madame, hé bien, écoutez donc Oreſte.
Pyrrhus a commencé, faites au moins le reſte.
Pour bien faire, il faudroit que vous le préuinſſiez.
Ne m’auez-vous pas dit que vous le haïſſiez ?

HERMIONNE.

Si je le hais, Cleonne ? Il y va de ma gloire,
Apres tant de bontez dont il perd la memoire.