Page:Racine - Andromaque, Girard, 1668.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
ANDROMAQVE

Tel qu’on a veu ſon Pere embrazer nos Vaiſſeaux,
Et la flâme à la main, les ſuiure ſur les Eaux.
Oſeray-je, Seigneur, dire ce que ie penſe ?
Vous-meſme de vos ſoins craignez la recompenſe,
Et que dans voſtre ſein ce Serpent éleué
Ne vous puniſſe un jour de l’auoir conſerué.
Enfin, de tous les Grecs ſatisfaites l’enuie,
Aſſurez leur vangeance, aſſurez voſtre vie.
Perdez vn Ennemi d’autant plus dangereux,
Qu’il s’eſſayra ſur vous à combattre contre eux.

PYRRHVS.

La Grèce en ma faueur eſt trop inquiétée.
De ſoins plus importans ie l’ay cruë agitée,
Seigneur ; & ſur le nom de ſon Ambaſſadeur,
I’auois dans ſes projets conceu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet, qu’vne telle entrepriſe
Du Fils d’Agamemnon meritaſt l’entremiſe,
Qu’vn Peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N’euſt daigné conſpirer que la mort d’vn Enfant ?
Mais à qui pretend-on que ie le ſacrifie ?
La Gréce a-t-elle encor quelque droit ſur ſa vie ?
Et ſeul de tous les Grecs ne m’eſt-il pas permis
D’ordonner des Captifs que le Sort m’a ſoûmis ?
Oüy, Seigneur, lors qu’au pied des murs fumans de Troye,
Les Vainqueurs tout ſanglans partagerēt leur Proye,
Le Sort, dont les Arreſts furent alors ſuiuis,
Fit tomber en mes mains Andromaque & ſon Fils.
Hécube, pres d’Vlyſſe, acheua ſa miſere ;
Caſſandre, dans Argos, a ſuiuy voſtre Pere.
Sur eux, ſur leurs Captifs, ay-je étendu mes droicts ?
Ay-je enfin diſpoſé du fruit de leurs Exploits ?