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PHÈDRE.

pour la mettre dans la bouche d’une princesse qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvoit avoir des inclinations plus serviles [1], et qui néanmoins n’entreprend cette fausse accusation que pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse. Phèdre n’y donne les mains que parce qu’elle est dans une agitation d’esprit qui la met hors d’elle-même, et elle vient un moment après dans le dessein de justifier l’innocence et de déclarer la vérité.

Hippolyte est accusé, dans Euripide et dans Sénèque, d’avoir en effet violé sa belle-mère : Vim corpus tulit [2]. Mais il n’est ici accusé que d’en avoir eu le dessein. J’ai voulu épargner à Thésée une confusion qui l’auroit pu rendre moins agréable aux spectateurs.

Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avois remarqué dans les anciens qu’on reprochoit à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection : ce qui faisoit que la mort de ce jeune

  1. Schlegel (Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d’Euripide, p. 35) relève vivement ce passage de la Préface : « Je ne m’arrête pas, dit—il, à cette manière de courtisan de rejeter les bassesses dont on peut avoir besoin dans une tragédie, sur les personnages d’un rang inférieur ; mais Racine avait-il donc oublié cette maxime triviale du droit et de la morale, que chacun est censé avoir fait lui-même ce qu’il a fait faire par un autre ? On peut, en abusant peut-être des expressions de Racine, trouver, dans un siècle démocratique, qu’il parle ici des humbles conditions avec quelque dédain ; mais il est clair, en lisant tout ce passage, et surtout la pièce, qu’il a moins ménagé dans Phèdre son rang élevé que ces sentiments nobles et vertueux dont il a voulu laisser des marques touchantes dans cette âme égarée. Là surtout est la grande beauté du rôle. Sans doute, en bonne morale, en est coupable de tout ce qu’on a laissé faire. Néanmoins, si Phèdre avait pris d’elle—même la résolution d’accuser Hippolyte, au lieu de se laisser arracher un consentement hésitant, elle eût bien plus révolté, et n’eût pas inspiré la même pitié.
  2. Acte III, scène II, vers 892.