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ACTE I, SCÈNE II.

Qu’il s’essaiera sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS.

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée.
De soins plus importants je l’ai crue agitée,
175Seigneur ; et sur le nom de son ambassadeur,
J’avois dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet qu’une telle entreprise
Du fils d’Agamemnon méritât l’entremise ;
Qu’un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
180N’eût daigné conspirer que la mort d’un enfant[1] ?
Mais à qui prétend-on que je le sacrifie ?
La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie ?
Et seul de tous les Grecs ne m’est-il pas permis
D’ordonner d’un captif que le sort m’a soumis[2] ?
185Oui, Seigneur, lorsqu’au pied des murs fumants de Troie
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
Le sort, dont les arrêts furent alors suivis,
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Hécube près d’Ulysse acheva sa misère ;
190Cassandre dans Argos a suivi votre père[3] :
Sur eux, sur leurs captifs ai-je étendu mes droits ?
Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits ?
On craint qu’avec Hector Troie un jour ne renaisse[4] ;
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse.

  1. · · · · · · Fortis in pueri necem.
    (Troyennes de Sénèque, vers 756.)
  2. Var. D’ordonner des captifs que le sort m’a soumis. (1668-76)
  3. On peut voir dans les Troyennes d’Euripide (vers 239 et suivants) la scène où Talthybius vient annoncer à Hécube et aux autres captives à quel maître le sort a donné chacune d’elles.
  4. Τί τόνδ', Ἀχαιοί, παῖδα δείσαντες φόνον
    Καινὸν διειργάσασθε; μὴ Τροίαν ποτὲ
    Πεσοῦσαν ὀρθώσειεν; · · · · · · · · ·
    Πόλεως δ' ἁλούσης καὶ Φρυγῶν ἐφθαρμένων
    Βρέφος τοσόνδ' ἐδείσατε · · · · · ·

    (Troyennes d’Euripide, vers 1156-1162.)