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ACTE I, SCÈNE I.

Ami, n’accable point un malheureux qui t’aime[1].
T’ai-je jamais caché mon cœur et mes désirs ?
40Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs.
Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille
En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille[2],
Tu vis mon désespoir ; et tu m’as vu depuis
Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis.
45Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.
Mais quand je me souvins que parmi tant d’alarmes
50Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ses charmes[3],
Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut en l’oubliant punir tous ses mépris[4].

  1. Var. Ami, n’insulte point un malheureux qui t’aime. (1668 et 73)
  2. Oreste, dans l’Andromaque d’Euripide (vers 948-963), accuse aussi Ménélas de ce manque de foi. Il dit à Hermione :

    · · · · · · · · · Ἐμὴ γὰρ οὖσα πρὶν,
    Σὺν τῷδε ναίεις ἀνδρὶ σοῦ πατρὸς κάκῃ,
    Ὀς πρὶν τὰ Τροίας ἐσβαλεῖν ὁρίσματα,
    Γυναῖκ' ἐμοί σε δοὺς ὑπέσχεθ' ὕστερον
    Τῷ νῦν σ' ἔχοντι, Τρῳάδ' εἰ πέρσοι πόλιν…
    Ἦλγουν μὲν ἤλγουν · · · · · · · · ·
    Σῶν δὲ στερηθεὶς ᾠχόμην ἄκων γάμων.

  3. Voltaire, comme le fait remarquer la Harpe, a imité ce vers dans la Henriade, chant IX :

    D’Estrée à son amant prodiguait ses appas.


    Mais le vers de Voltaire serait un mauvais commentaire de celui de Racine. « Oreste, dit Louis Racine, veut dire seulement qu’Hermione, qui l’a oublié, ne songe qu’à plaire à Pyrrhus. » L’expression si poétique et si passionnée que le poëte lui a mise dans la bouche, fut de bonne heure détournée de son vrai sens par la malignité de la critique. Subligny (Folle querelle, acte III, scène IV) en fait l’objet d’une raillerie vulgaire.

  4. Var. Voulut, en l’oubliant, venger tous ses mépris (a). (1668 et 73) (a) Subligny avait dit dans la Préface de la Folle querelle : « Tant qu’il écrira ainsi, on dira toujours qu’il exprime ses pensées à contre-sens, parce qu’on voit bien qu’il a prétendu dire : punir ses mépris, et non pas les ven-