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NOTICE.

avait trouvé un de ses plus grands interprètes. C’était le Kain, dont l’année 1750 vit les débuts sur la scène tragique. La Harpe l’appelait « le grand acteur, celui qui a porté le plus loin le sentiment et l’expression de la tragédie. « Mlle Clairon fait remarquer « que sa perfection n’était complète que dans les tragédies de Voltaire, et que les rôles de Racine étaient trop simples pour lui. » Cela est constaté par tous les témoignages contemporains, et nous donnerait, nous l’avouerons, l’idée de qualités sans doute très-brillantes, mais non de premier ordre. Quoi qu’on puisse d’ailleurs penser de lui, il paraît que dans les fureurs d’Oreste, le Kain était fort beau ; la Harpe a conservé, dans son commentaire, le souvenir d’un des grands effets qu’il y produisait[1].

Après la disparition de tous ces fameux acteurs du dix-huitième siècle, un admirable tragédien, un tragédien de génie ne serait peut-être pas trop dire, allait faire mieux encore que de continuer leur tradition : l’art fut renouvelé par lui et porté à son plus haut point. Talma, bien qu’il ait débuté en 1787 et ait été reçu à la Comédie française en 1789, appartient surtout au dix-neuvième siècle, où son talent se montra dans toute sa maturité et dans toute sa perfection. Le rôle d’Oreste fut un de ses plus beaux triomphes. Mme de Staël cite[2] un passage de la scène des fureurs, où il lui semblait très-supérieur à le Kain. Le critique Geoffroy, détracteur très-passionné de Talma, exprimait une opinion tout opposée. Son jugement avait même été d’abord entièrement défavorable au nouvel acteur. Quoiqu’il fût contraint de reconnaître que Talma avait rendu les fureurs d’Oreste au gré du public, il protestait contre le succès, et accusait le tragédien « d’avoir moins représenté une fureur causée par le désespoir d’une passion violente qu’un état de démence[3]. » Il parlait ainsi en 1800. Mais, un an après, ne pouvant plus lutter obstinément contre une admiration toujours croissante, il lui fallait écrire : « Il me semble que Talma a

  1. Voyez ci-après, p. 123, la note sur le vers 1620.
  2. De l’Allemagne, 2e partie, chapitre xxvii.
  3. Feuilleton du 7 floréal an viii (27 avril 1800), dans le Cours de littérature dramatique ou Recueil des feuilletons de Geoffroy (Paris, Pierre Blanchard, 1825, 6 vol. in-8o), tome VI, p. 219.