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ANDROMAQUE

giques passages de son rôle, devaient faire de la Dumesnil une admirable Hermione, Mais, avec de moins grands éclats, son art étudié, savant, son esprit fin et délicat, sa grande intelligence, sa noblesse lui donnaient aussi quelques avantages. Elle entrait profondément dans l’esprit de ses rôles. Les observations que dans ses Mémoires elle a consignées sur celui d’Hermione, témoignent assez de la justesse de son goût, et du soin avec lequel elle méditait et réglait son jeu. Nous en reproduisons quelques-unes dans les notes de la pièce. Voici comment elle comprenait le sens général du rôle ; il nous semble qu’elle l’analyse assez bien pour défier, non pas en bon style, mais en sagacité pénétrante, les commentateurs de profession : « Ce rôle offre continuellement le danger de ne pas atteindre le but ou de le dépasser. Le caractère en est passionné, et n’est pas tendre ; il est furieux et point méchant ; il est noble et fier, et se permet cependant de la séduction et de la dissimulation avec Oreste, et de l’atrocité avec Pyrrhus ; son orgueil et sa passion marchent partout d’un pas égal, excepté dans les six vers qui commencent par celui-ci :


Mais, Seigneur, s’il le faut, si le ciel en colère, etc.[1],


dans la fin du monologue du cinquième acte, et le commencement du dernier couplet de ce rôle, où l’amour parle seul et fait couler ses larmes.

« Tout ce que j’ai cherché de ressources dans mon physique et dans mes réflexions pour tâcher d’atteindre à la beauté de ce rôle, pour y soutenir le caractère, sans altérer la fraîcheur de l’âge, est un de mes plus pénibles travaux…

« Dans tout ce qui peint l’amour d’Hermione, il faut soigneusement éviter les sons les plus touchants, la physionomie simple et douce, qui caractérisent les âmes tendres, et, dans son emportement, s’éloigner, autant qu’il est possible, des élans sûrs, fermes, de la femme expérimentée, telle par exemple que Roxane dans Bajazet[2]. »

Dans le temps où Mlles Dumesnil et Clairon se disputaient les applaudissements dans le rôle d’Hermione, le rôle d’Oreste

  1. Acte IV, scène v, vers 1369.
  2. Mémoires d’Hippolyte Clairon, p. 96-98.