Page:Racine - Œuvres, t2, éd. Mesnard, 1865.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
NOTICE.

des Œillets jouât les deux premiers actes, et la Champmeslé les autres ; car l’une jouait plus finement, l’autre avec plus de passion. Cet idéal que rêvait le grand roi paraît s’être réalisé dans Adrienne Lecouvreur. « Elle a réuni à elle seule, et au plus haut degré de perfection, disent les auteurs de l’Histoire du Théâtre françois[1], les talents de la des Œillets et de la Champmeslé. »

Ce fut par le rôle d’Hermione que débuta avec le plus grand succès, devant le roi Louis XV, à Fontainebleau, le 7 novembre 1724, Mlle Deseine, qui devint plus tard Mme Quinault-Dufresne. Elle y avait montré tant d’intelligence et d’âme, que dès le 16 du même mois on eut ordre à la comédie de la recevoir ; et lorsque le 5 janvier 1725 elle parut dans le même rôle sur la scène de Paris, elle était vêtue d’un costume magnifique dont le Roi lui avait fait présent, et qui était, dit-on, du prix de huit mille livres.

Le théâtre l’avait déjà perdue quand vinrent y conquérir une grande célébrité, l’une en 1737, l’autre en 1743, deux tragédiennes qui furent longtemps rivales, Mlle Dumesnil et Mlle Clairon. Le rôle d’Hermione fut un de ceux où s’engagea la lutte de leurs talents très-différents. « Mlle Dumesnil, a dit Mlle Clairon[2], qui naturellement n’était pas disposée à trop d’indulgence pour elle, Mlle Dumesnil n’était ni belle ni jolie, sa physionomie, sa taille n’offraient aux yeux qu’une bourgeoise sans grâce, sans élégance…; mais elle était pleine de chaleur et de pathétique. » La Harpe[3] nous donne à peu près la même idée de Mlle Dumesnil : « Cette actrice a fait voir ce que peut le pathétique… Elle n’a jamais eu ni voix, ni figure, ni noblesse ; elle laissait tomber de très-beaux détails dans tous ses rôles ; mais, dans les mouvements de l’âme, elle avait une énergie et une vérité qui enlevaient les suffrages. » Clairon n’avait pas les inspirations enflammées, les terribles éclairs de passion, le débit rapide et foudroyant, qui, dans les plus éner-

  1. Dans leur article sur la Champmeslé, qu’on trouvera au tome XIV, p. 512-523.
  2. Mémoires d’Hippolyte Clairon, p. 84.
  3. Correspondance littéraire (6 vol. in-8o, à Paris, chez Migneret, au ix), tome I, p. 361.