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NOTICE.

en honnête homme. Il serait inutile de rien citer de ses lourdes et froides plaisanteries ; nous rappellerons seulement dans les notes d’Andromaque quelques-unes de ses critiques de détail, celles principalement auxquelles Racine a fait droit. Ce qu’il y a peut-être de plus intéressant dans cette satire, c’est qu’elle constate maladroitement que l’Andromaque avait tourné les têtes, et qu’il se passait alors parmi nous quelque chose de comparable à la fameuse Euripidomanie des anciens. Éraste, dans la pièce, personnifie cette fureur d’enthousiasme ; et une soubrette vient se plaindre de la folie générale : « Cuisinier, cocher, palefrenier, laquais, et jusqu’à la porteuse d’eau, il n’y a personne qui ne veuille discourir d’Andromaque. Je pense même que le chien et le chat s’en mêleront, si cela ne finit bientôt. »

La mauvaise guerre faite à Racine sur le théâtre de Molière ne put donc guère troubler sa victoire. Pour le consoler du gros rire des spectateurs de la Folle querelle, n’avait-il pas d’ailleurs les larmes qu’Andromaque faisait verser ? Le souvenir de celles qui, à la première lecture de la pièce, étaient tombées des yeux de la charmante Henriette d’Angleterre, a été recueilli par Racine lui-même, et conservé, comme un titre de gloire, dans l’épître où il reconnaît à la princesse une sorte de collaboration à son œuvre. N’oublions pas non plus les larmes de Mme de Sévigné, qui coulaient sans doute un peu malgré elle, et devaient lui sembler une infidélité au vieux Corneille. On connaît le passage d’une de ses lettres, écrite de Vitré à Mme de Grignan[1] : « Je fus… à la comédie : ce fut Andromaque, qui me fit pleurer plus de six larmes ; c’est assez pour une troupe de campagne. » À Paris, où elle trouvait de meilleurs comédiens, elle pleurait apparemment sans compter. Et que d’autres en ce même temps, non certes douées de plus de sensibilité qu’elle, mais moins en garde contre Racine, durent s’attendrir avec plus d’abandon ! C’est depuis Andromaque que la cause de Racine fut gagnée dans le cœur des femmes ; et l’on peut dire avec Fontenelle[2], sans y mettre la même intention railleuse : « Voilà ce qu’il falloit aux femmes, dont le jugement a

  1. Lettre du 12 août 1671, tome II, p. 318.
  2. Dans sa Vie de Corneille.