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ACTE IV, SCÈNE III.

Il faut… Mais cependant que faut-il que je fasse ?
Comment puis-je sitôt servir votre courroux ?
Quel chemin jusqu’à lui peut conduire mes coups ?
1205À peine suis-je encore arrivé dans l’Épire,
Vous voulez par mes mains renverser un empire ;
Vous voulez qu’un roi meure, et pour son châtiment
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment.
Aux yeux de tout son peuple il faut que je l’opprime[1] !
1210Laissez-moi vers l’autel conduire ma victime,
Je ne m’en défends plus ; et je ne veux qu’aller
Reconnoître la place où je dois l’immoler.
Cette nuit je vous sers, cette nuit je l’attaque.

HERMIONE.

Mais cependant ce jour il épouse Andromaque.
1215 Dans le temple déjà le trône est élevé ;
Ma honte est confirmée, et son crime achevé.
Enfin qu’attendez-vous ? Il vous offre sa tête :
Sans gardes, sans défense il marche à cette fête ;
Autour du fils d’Hector il les fait tous ranger ;
1220Il s’abandonne au bras qui me voudra venger.
Voulez-vous, malgré lui, prendre soin de sa vie ?
Armez, avec vos Grecs, tous ceux qui m’ont suivie ;
Soulevez vos amis : tous les miens sont à vous.
Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous.
1225Mais quoi ? déjà leur haine est égale à la mienne :
Elle épargne à regret l’époux d’une Troyenne.
Parlez : mon ennemi ne vous peut échapper,
Ou plutôt il ne faut que les laisser frapper.
Conduisez ou suivez une fureur si belle ;
1230Revenez tout couvert du sang de l’infidèle ;
Allez : en cet état soyez sûr de mon cœur.

  1. Opprimer, dans ce sens de surprendre et accabler, est un latinisme que l’exemple de Racine n’a pu introduire dans la langue.