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Du roi qui l’a porté respectez la mémoire.
Un malheureux enfant aux ours abandonné…

JOSABETH, lui essayant le diadème.

Laissez, mon fils : je fais ce qui m’est ordonné.

JOAS.

Mais j’entends les sanglots sortir de votre bouche !
Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche ?
Est-ce qu’en holocauste aujourd’hui présenté,
Je dois, comme autrefois la fille de Jephté,
Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ?
Hélas ! un fils n’a rien qui ne soit à son père.

JOSABETH.

Voici qui vous dira les volontés des cieux.
Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.


Scène II.

JOAS, JOAD.
JOAS, courant dans les bras du grand prêtre.

Mon père !

JOAD.

Mon père ! Eh bien, mon fils ?

JOAS.

Mon père ! Eh bien, mon fils ? Qu’est-ce donc qu’on prépare ?

JOAD.

Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.
Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,
Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.
Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle :
Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle
Qu’au fond de votre cœur mes soins ont cultivés,
Et de payer à Dieu ce que vous lui devez.
Sentez-vous cette noble et généreuse envie ?

JOAS.

Je me sens prêt, s’il veut, de lui donner ma vie.

JOAD.

On vous a lu souvent l’histoire de nos rois :
Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois
Doit s’imposer un roi digne du diadème ?

JOAS.

Un roi sage, ainsi Dieu l’a prononcé lui-même,
Sur la richesse et l’or ne met point son appui,
Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
Et d’injustes fardeaux n’accable point ses frères.

JOAD.

Mais sur l’un de ces rois s’il fallait vous régler,
À qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ?

JOAS.

David, pour le Seigneur plein d’un amour fidèle,
Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.

JOAD.

Ainsi dans leurs excès vous n’imiteriez pas
L’infidèle Joram, l’impie Ochozias ?

JOAS.

Ô mon père !

JOAD.

Ô mon père ! Achevez, dites : que vous en semble ?

JOAS.

Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble !

(Joad se prosterne à ses pieds.)
Mon père, en quel état vous vois-je devant moi !
JOAD.

Je vous rends le respect que je dois à mon roi.
De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.

JOAS.

Joas ! Moi ?

JOAD, se relevant.

Joas ! Moi ? Vous saurez par quelle grâce insigne,
D’une mère en fureur Dieu trompant le dessein,
Quand déjà son poignard était dans votre sein,
Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
Vous n’êtes pas encore échappé de sa rage :
Avec la même ardeur qu’elle voulut jadis
Perdre en vous le dernier des enfants de son fils,
À vous faire périr sa cruauté s’attache,
Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache.
Mais sous vos étendards j’ai déjà su ranger
Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
Du ministère saint tour à tour honorées.


Scène III.

JOAS, JOAD, AZARIAS, ISMAËL, et les trois autres chefs des lévites.
JOAD continue.

Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.

AZARIAS.

Quoi ! c’est Éliacin ?

ISMAËL

Quoi ! c’est Éliacin ? Quoi ! cet enfant aimable…

JOAD.

Est des rois de Juda l’héritier véritable,
Dernier né des enfants du triste Ochozias,
Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.
De cette fleur si tendre et si tôt moissonnée,
Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
Avec ses frères morts le crut enveloppé.
Du perfide couteau comme eux il fut frappé ;
Mais Dieu du coup mortel sut détourner l’atteinte,
Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte
Permit que des bourreaux trompant l’œil vigilant,
Josabeth dans son sein l’emportât tout sanglant,
Et n’ayant de son vol que moi seul pour complice,
Dans le temple cachât l’enfant et la nourrice.