Page:Rabelais marty-laveaux 03.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
prologve dv qvart livre.

nommé Frapin : c’est celuy qui a faict & composé les beaux & ioyeux Noelz, en langaige Poicteuin[1]. Il auoit vn Gay en delices à cause de son babil par lequel tous les suruenans inuitoit à boire : iamais ne chantoit que de boire : & le nommoit son Goitrou. Le Gay en furie Martiale rompit sa caige, & le ioignit aux Gays passans : vn barbier voysin nommé Bahuart, auoit vne Pie priuée bien gallante. Elle de sa personne augmenta le nombre des Pies, & les suyuit au combat. Voicy choses grandes & paradoxes : vrayes toutesfois, veues, & auerées. Notez bien tout. Qu’en aduint il ? Quelle fut la fin ? Qu’il en aduint, bonnes gens ! cas merueilleux ! Pres la croix de Malchara[2] fut la bataille tant furieuse, que c’est horreur seulement y penser : la fin fut que les Pies perdirent la bataille, & sus le camp furent felonnement occises, iusques au nombre de 2589362109 sans les femmes & petis enfans : c’est à dire, sans les femelles & petitz piaux, vous entendez cela : les Gays resterent victorieux : non toutesfois sans perte de plusieurs de leurs bons Souldards : Dont fut dommaige bien grand en tout le pays. Les Bretons sont gens, vous le sçauez. Mais s’ilz eussent entendu le prodige, facilement eussent congnu que le malheur seroit de leur cousté. Car les queues des Pies sont en forme de leurs hermines, les Gays ont en leurs pennaiges quelques pourtraictz des armes de France. A propos, le Goitrou trois iours apres retourna tout hallebrené, & fasché de ces guerres, ayant vn œil poché. Toutesfois peu d’heures apres qu’il eut repeu en son ordinaire, il se remist en bon sens. Les Gorgias, Peuple, & Escolliers d’Angiers, par tourbes accouroient voir Goitrou le borgne ainsi accoustré. Goitrou les inuitoit à boire comme de

  1. Voyez ci-dessus, p. 283, la note sur la l. 7 de la p. 350.
  2. C’est probablement l’endroit dont Du Fail parle dans le xixe Conte d’Eutrapel : « quand…. vous entonnez si tristement… la bataille des Trante, ou la iournee de Marhara, ne vous prend il enuie d’y retourner ? » Burgaud des Marets a vainement cherché une localité dont le nom se rapprochât de celui-ci : « mais, dit-il, aux environs de Saint-Aubin-du-Cormier, près de la Lande de la Rencontre où l’on s’accorde à placer le théâtre du combat, se trouve la Lande-aux-oiseaux, qui paraît rappeler la légende à laquelle Rabelais fait allusion. »