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bloient es enfans d’Israel quand ilz partirent d’Egypte pour passer la mer rouge. Mais devant que poursuyvre ceste entreprinse ie vous veulx dire comment Panurge traicta son prisonnier le roy Anarche. Il luy souvint de ce que avoit raconté Epistemon comment estoient traictez les roys et riches de ce monde par les champs Elisées, et comment ilz gaingnoient pour lors leur vie à vilz et salles mestiers. Pourtant ung iour habilla son dict roy d’ung beau petit pourpoint de toille tout deschiquetté comme la cornette d’ung Albanoys, et de belles chausses à la mariniere, sans soulliers : car (disoit il) ilz luy gasteroient la veue, et ung petit bonnet pers avecques ung grand plume de chappon. Ie faux, car il m’est advis qu’il y en avoit deux : et une belle ceincture de pers et vert, disant que ceste livrée luy advenoit bien, veu qu’il avoit esté pervers. En tel point l’amena devant Pantagruel, et luy dist. Congnoissez vous ce rustre ? Non certes, dist Pantagruel. C’est monsieur du Roy de troys cuittes. Ie le veulx faire homme de bien : ces diables de roys icy ne sont que beaulx, et ne sçavent ny ne valent riens, sinon à faire des maulx es pouvres subiectz, et à troubler tout le monde par guerre pour leur inique et detestable plaisir. Ie le veulx mettre à mestier, et le faire cryeur de saulce vert. Or commence à cryer, Vous fault il point de saulce vert ? Et le pouvre diable cryoit. C’est trop bas, dist Panurge, et le print par l’oreille, disant. Chante plus hault, en g sol ré ut. Ainsi diable tu as bonne gorge, tu ne fuz iamais si heureux que de n’estre plus roy. Et Pantagruel prenoit tout à plaisir. Car ie ose bien dire que c’estoit le meilleur homme qui fut d’icy au bout d’ung baston. Ainsi fut Anarche bon cryeur de saulce vert. Et deux iours apres