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matutinale qu’à poursuivre le livre entrepris, qu’aussi à écrire et bien traire[1] et former les antiques et romaines lettres.

Ce fait, issaient[2] hors leur hôtel, avec eux un jeune gentilhomme de Touraine nommé l’écuyer Gymnaste, lequel lui montrait l’art de chevalerie. Changeant donc de vêtements, montait sur un coursier, sur un roussin, sur un genet, sur un cheval barbe, cheval léger, et lui donnait cent carrières[3], le faisait voltiger en l’air, franchir le fossé, sauter le palis[4], court tourner en un cercle, tant à dextre comme à senestre. Là rompait, non la lance, car c’est la plus grande rêverie du monde dire : « J’ai rompu dix lances en tournoi ou en bataille, » un charpentier le ferait bien ; mais louable gloire est d’une lance avoir rompu dix de ses ennemis. De sa lance donc, acérée, verte et raide, rompait un huis[5], enfonçait un harnais[6], aculait[7] une arbre, enclavait[8] un anneau, enlevait une selle d’armes, un haubert, un gantelet. Le tout faisait armé de pied en cap.

Au regard de fanfarer[9] et faire les petits popismes[10] sur un cheval, nul ne le fit mieux que lui. Le voltigeur de Ferrare n’était qu’un singe en comparaison. Singulièrement[11] était appris à sauter hâtivement d’un cheval sur l’autre sans prendre terre, et nommait-on ces chevaux désultoires[12], et de chacun côté, la lance au poing, monter sans estriviers[13] et, sans bride, guider le cheval à son plaisir, car telles choses servent à discipline militaire.

Un autre jour s’exercait à la hache, laquelle tant bien coulait, tant vertement de tous pics[14] resserrait, tant souplement avalait[15] en taille ronde[16], qu’il fut passé chevalier d’armes en campagne, et en tous essais.

Puis branlait la pique, saquait[17] de l’épée à deux mains, de l’épée bâtarde, de l’espagnole, de la dague et du poignard ; armé, non armé, au bouclier, à la cape, à la rondelle[18].

Courait le cerf, le chevreuil, l’ours, le daim, le sanglier, le lièvre, la perdrix, le faisan, l’outarde. Jouait à la grosse balle, et la faisait bondir en l’air autant du pied que du poing.

Luttait, courait, sautait, non à trois pas un saut, non à cloche-pied, non au saut d’allemand, car, disait Gymnaste, tels sauts sont inutiles et de nul bien en guerre ; mais d’un saut perçait[19] un fossé, volait sur une haie, montait six pas encontre une

  1. Tracer.
  2. Sortaient.
  3. Lui faisait parcourir cent fois la carrière.
  4. La palissade.
  5. Porte.
  6. Armure.
  7. Mettait bas.
  8. Enfilait.
  9. Faire exécuter des exercices à la voix.
  10. Appels de langue pour exciter le cheval.
  11. Particulièrement.
  12. Desultorii (latinisme).
  13. Étriers.
  14. Coups de pointe.
  15. Descendait.
  16. Coups de taille en cercle.
  17. Tirait.
  18. Rondache.
  19. Traversait.