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un enclume de forgeron. Cependant Loupgarou tirait de terre, sa masse et l’avait jà tirée et la parait[1] pour en férir Pantagruel ; mais Pantagruel, qui était soudain[2] au remuement et déclinait[3] tous ses coups, jusqu’à ce qu’une fois, voyant que Loupgarou le menaçait, disant : « Méchant, à cette heure te hacherai-je comme chair à pâtés, jamais tu n’altéreras les pauvres gens, » Pantagruel lui frappa du pied un si grand coup contre le ventre, qu’il le jeta en arrière à jambes rebindaines[4], et vous le traînait ainsi à l’écorche-cul plus d’un trait d’arc. Et Loupgarou s’écriait, rendant le sang par la gorge : « Mahon ! Mahom ! Mahon ! » À quelle voix se levèrent tous les géants pour le secourir. Mais Panurge leur dit : « Messieurs, n’y allez pas, si m’en croyez, car notre maître est fol et frappe à tort et à travers, et ne regarde point où. Il vous donnera malencontre. » Mais les géants n’en tinrent compte, voyant que Pantagruel était sans bâton.

Lorsque approcher les vit Pantagruel, prit Loupgarou par les deux pieds et son corps leva comme une pique en l’air, et, d’icelui armé d’enclumes, frappait parmi ces géants armés de pierres de taille, et les abattait comme un maçon fait de copeaux, que nul n’arrêtait devant lui qu’il ne ruât[5] par terre. Dont, à la rupture de ces harnais[6] pierreux, fut fait un si horrible tumulte qu’il me souvint quand la grosse tour de beurre, qui était à Saint-Étienne de Bourges, fondit au soleil. Panurge, ensemble Carpalim et Eusthènes, cependant égorgetaient ceux qui étaient portés par terre. Faites votre compte qu’il n’en échappa un seul, et à voir Pantagruel, semblait un faucheur qui de sa faux (c’était Loupgarou) abattait l’herbe d’un pré (c’étaient les géants), mais à cette escrime, Loupgarou perdit la tête. Ce fut quand Pantagruel en abattit un qui avait nom Riflandouille, qui était armé à haut appareil, c’était de pierres de grison, dont un éclat coupa la gorge tout outre à Épistémon, car autrement la plupart d’entre eux étaient armés à la légère : c’était de pierres de tuf et les autres de pierre ardoisine. Finalement, voyant que tous étaient morts, jeta le corps de Loupgarou tant qu’il put contre la ville, et tomba comme une grenouille sur ventre en la place mage[7] de ladite ville, et en tombant, du coup tua un chat brûlé, une chatte mouillée, une canepetière et un oison bridé.

  1. Préparait.
  2. Prompt.
  3. Évitait.
  4. Jambes en l’air.
  5. Renversât.
  6. Armures.
  7. La grande place.