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COMMENT LA PONTIFE BACBUC PRÉSENTA PANURGE DEVANT LA DIVE BOUTEILLE.

La fit Bacbuc, la noble pontife, Panurge baisser et baiser la marge de la fontaine, puis le fit lever, et autour danser trois ithymbons[1]. Cela fait, lui commanda s’asseoir entre deux selles, le cul à terre, là préparées. Puis déploya son livre ritual, et, lui soufflant en l’oreille gauche, le fit chanter une épilénie[2] comme s’ensuit :

Ô Bouteille,
Pleine toute
De mystères,
D’une oreille
Je t’écoute :
Ne diffère,
Et le mot profère
Auquel pend mon cœur.
En la tant divine liqueur.
Qui est dedans tes flancs reclose,
Bacchus, qui fut d’Inde vainqueur,
Tient toute vérité enclose.
Vin tant divin, loin de toi est forclose
Toute mensonge et toute tromperie.
En joie soit l’âme de Noach[3] close,
Lequel de toi nous fit la tempérie[4].
Sonne le beau mot, je t’en prie,
Qui me doit ôter de misère.
Ainsi ne se perde une goutte
De toi, soit blanche ou soit vermeille.
Ô Bouteille,
Pleine toute
De mystères,
D’une oreille
Je t’écoute :
Ne diffère.

Cette chanson parachevée, Bacbuc jeta je ne sais quoi dedans la fontaine, et soudain commença l’eau bouillir à force, comme fait la grande marmite de Bourgueil quand y est fête à bâtons[5]. Panurge écoutait d’une oreille en silence, Bacbuc se tenait près de lui agenouillée, quand de la sacrée bouteille issit[6] un

  1. Danses bachiques.
  2. Chant du pressoir.
  3. Noé.
  4. Le temps serrein.
  5. (Fête où les chantres processionnent bâtons en mains).
  6. Sortit.