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le vieux cévenol.

lent marin, voyant que le vaisseau allait couler à fond, s’arma d’une hache, mit en pièce le mât d’artimon et se jeta à la mer ; il eut encore le temps de couper plusieurs planches du tillac. Ambroise l’aidait de tout son pouvoir ; et se jetant à l’eau avant que le vaisseau fût près de s’engouffrer, ils gagnèrent leurs planches à la nage. Trois de ces malheureux échappèrent par ce moyen à cette nouvelle infortune. Le Rochelois leur enseignait à se soutenir sur les eaux pour ménager leurs forces ; et comme il soufflait un vent d’Est, qui poussait vers les côtes d’Espagne, il en profitait pour diriger de ce côté la planche qui le portait. Ses compagnons le suivirent de leur mieux. Douze heures se passèrent ainsi sans qu’ils s’aperçussent trop de leurs progrès ; et ils étaient sur le point de périr de fatigue et de faim, lorsqu’un vaisseau, qui s’avançait vers eux en louvoyant, leur rendit l’espérance. Ils poussèrent tous à la fois de grands cris, qui enfin furent entendus ; on leur envoya la chaloupe. Il est impossible d’exprimer le plaisir qu’ils ressentirent de n’entendre point la langue de ceux qui leur parlaient. « Dieu soit béni, » dirent-ils tous à la fois, « nous ne sommes plus avec des Français ! — Nous n’aurons plus à craindre les déclarations du roi, » disait Ambroise ; et il se rappelait alors la longue suite de ses infortunes depuis l’année 1685, où il avait perdu son père, jusqu’à ce moment où il se trouvait au milieu de la Méditerranée, presque