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latine que l’anglais tient de la France, mais en les employant souvent dans une acception qui nous est étrangère, qu’il importe d’être sur ses gardes, car la pente est glissante et le terrain particulièrement scabreux. Comme le piège est moins apparent, plus d’un Canadien s’y laisse prendre. C’est ainsi qu’on entendra dans la conversation courante ou qu’on lira même dans les journaux de Québec et de Montréal des expressions comme celle-ci : « Tel avocat est à son office (le mot pris dans le sens d’étude, bureau ou cabinet). Tel orateur a délivré ( prononcé) un discours en adressant (s’adressant à) une large audience (un nombreux auditoire). M. X… a été appelé à la chaire (au fauteuil de la présidence). Un autre a payé la plus grande attention à ce qui était tombé du savant conseil du demandeur, etc.

« Le moindre inconvénient de cet usage regrettable, écrit avec raison M. Chauveau[1], c’est de perdre graduellement notre langue, et il est à craindre qu’on n’en vienne à parler bientôt, comme le font déjà certaines personnes, un langage hybride qui n’est d’aucun pays, d’aucune nation… »

Il est vrai qu’on peut répondre que, de ce côté-ci de l’Atlantique et de la Manche, nous ouvrons nous-mêmes trop largement la porte aux anglicismes et que, soit affectation, soit ignorance, nous nous engouons de tel mot anglais qui a fait son chemin jusqu’à nous sur le dos de quelque traducteur insuffisant, même lorsque nous n’aurions pas de peine à trouver dans notre vieille langue des équivalents qui le vaudraient bien. Nous ne buvons plus à la santé des gens : nous leur « portons des toasts. » Nous allons au steeple-chase en passant devant le Jockey-club. Nous prenons notre ticket, avant d’entrer sur le turf, et nous achetons les journaux illustrés du sport et du high-life, qui nous renseignent sur les jockeys et les bookmakers. Après avoir pris un lunch et mangé roast-

  1. Ci-devant ministre de l’instruction publique de la province de Québéc ; aujourd’hui membre du conseil des ministres de la « Puissance du Canada. »