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mort plus de trois cents… Le peuple canadien a un quart de livre de pain par jour ; le soldat une demi-livre. » Après le 1er  avril, la famine augmentant, on ne donna plus au peuple que deux onces de pain. En mai il n’y avait presque plus de pain ni de viande ; la livre de bœuf se vendait 25 sous ; autant la livre de farine ; « et cependant, dit M. Doreil, ils prennent leur mal en patience. »

Pendant ce temps, au rapport du même Doreil, on passait joyeusement le carnaval chez l’intendant Bigot. « On y jouait un jeu à faire trembler les plus déterminés joueurs, au quinze, au passe-dix, au trente-et-quarante. Heureusement, pour ceux de nos officiers qui ont joué, que M. Bigot, qui est en état de perdre, a bien fait les honneurs de cette partie : il lui en coûte environ deux cent mille livres. »

Que dire de ce contraste entre la licence si effrénée d’indignes administrateurs et le courage, la patience dont témoignaient, au milieu de ces cruelles épreuves, les braves habitants du Canada ? Ils ne s’indignaient même pas des exactions dont ils étaient les victimes : « Le roi peut prendre tout ce que nous avons, répondaient-ils, pourvu que le Canada soit sauvé[1]. »

Voilà les sentiments que ces humbles et vaillants fils de la France nourrissaient sur ces « quelques arpents de glace » dont Voltaire voulait traiter le marché avec Pitt ! Arpents de glace !… La plume tombe des mains.


L’armée du Canada se composait au mois de mai 1758, à l’ouverture de la campagne, de 5,780 soldats.

  1. Dialogues des morts, de Johnstone.