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France avait tout intérêt cependant à gagner du temps, car sa marine commençait à peine à renaître des cendres de la dernière guerre, et quoique on eût, après la paix d’Aix-la-Chapelle, adopté le plan de construire, dans l’espace de dix ans, cent onze vaisseaux de guerre et cinquante-quatre frégates, on était encore fort loin d’avoir mené ce plan à exécution. Mais par la même raison qui devait nous engager à différer, les Anglais, qu’inquiétait la reconstitution de notre marine, avaient intérêt à précipiter la rupture. Le « bonhomme Franklin », alors membre de l’assemblée de Pensylvanie, y poussait de tout son pouvoir. « Prendre et garder le Canada, écrit Sainte-Beuve[1], c’était pour lui la conclusion favorite, comme de détruire Carthage pour Caton… Il avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées de la jeune Amérique ; il la voyait du Saint-Laurent au Mississipi, peuplée de sujets anglais en moins d’un siècle ; mais, si le Canada restait à la France, ce développement de l’empire anglais en Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à les rallier en confédération et à les lancer sur les colonies. » Franklin fera bientôt (en 1757) un voyage en Angleterre pour soutenir et appuyer ces vues auprès du gouvernement anglais. Washington, Franklin ! Ainsi, dans les débuts de cette guerre, nous trouvons au premier rang de nos adversaires, pour nous enlever le Canada, ces mêmes hommes qui seront, vingt ans plus tard, au premier rang de nos alliés pour enlever

  1. Causeries sur Franklin.