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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

Eh bien ! qu’en advient-il ? On traite de folâtre
Ma musique qu’on dit faite pour le théâtre.
L’un se plaint qu’à l’office il a presque dansé ;
L’autre dit que l’auteur devrait être chassé :
Chacun sur moi se lance et me pousse des bottes.
Le sexe s’en mêla, mais surtout les dévotes :
Doux Jésus, disait l’une, avec tout ce fracas,
Les saints en paradis ne résisteraient pas.
Vrai Dieu ! lorsque ces cris, disait une autre, éclatent.
On dirait qu’au jubé tous les démons se battent.
Enfin cherchant à plaire en donnant du nouveau,
Je vis tout mon espoir s’en aller à vau l’eau.
Pour l’oreille, il est vrai, tant soit peu délicate,
Ma musique, entre nous, était bien un peu plate ;
Mais leur fallait-il donc des Handels, des Grétrys ?
Ma foi ! qu’on aille à Londres ou qu’on aille à Paris.
Pour moi, je croyais bien, admirant mon ouvrage,
Que de tout le public j’obtiendrais le suffrage.
Mais de mes amis seuls vivement applaudi,
Je vis bien qu’en public j’avais peu réussi.
Ainsi j’abandonnai ce genre trop stérile.
Ce revers néanmoins, en m’échauffant la bile,
Ne faisait qu’augmenter le désir glorieux
Par mes talents divers de me rendre fameux.
Je consulte mon goût, et j’adopte Thalie ;
Bientôt de mon cerveau sort une comédie.
Une autre la suivit. Deux pièces, c’est beaucoup :
On parlera de moi, disais-je, pour le coup ;
En tous lieux, j’entendrai célébrer mon génie ;
Mais je ferai surtout briller ma modestie.
Les honneurs et les biens s’en vont pleuvoir sur moi ;
Mais je me veux montrer généreux comme un roi.
Tels étaient mes projets. Et toi, mon cher confrère,
Si l’on eût su juger des vers que tu sais faire ;
Si ta muse applaudie eût changé ton destin,
Partout, au lutrin même, on t’aurait vu moins vain.
Les succès n’enflent point un homme de génie,
Et s’il se montre fier, c’est qu’on le lui dénie.
Ergo, c’est de tes vers le défaut de succès
Qui te donne un regard fier comme un Écossais.
Si l’on eût lu pourtant ton épître admirable
À dame du canton, pour toi si secourable ;