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de pêche que j’avais apportée du Pouliguen. La nuit, je rêvai à la flottille des Tuileries. Le lendemain, il fallut que ma mère me conduisît au bassin. Il en fut de même le jour suivant. Ma mère, résignée et contente de me voir m’amuser, m’accompagnait. Elle s’asseyait, un ouvrage à la main, sur une chaise, et surveillait de loin mes ébats nautiques.

Certes, ma vieille barque de pêche se comportait fort bien, et plusieurs des jeunes armateurs eussent volontiers échangé leurs jouets de bazar contre le mien, qui était d’une meilleure structure ; mais certains possédaient de véritables petits voiliers construits avec beaucoup d’art, gréés avec grand soin et qui atteignaient à de notables vitesses dans les courses que nous organisions. Ces petits bateaux étaient l’œuvre d’un même fabricant et portaient sa marque. Ce fabricant s’appelait Thomas, le père Thomas, comme on disait. Bientôt, je fis sa connaissance, car il venait souvent au bassin pour y essayer ses rapides goëlettes ou ses sloops prompts. Le père Thomas était célèbre aux Tuileries. On le voyait arriver en boitillant et portant entre les bras quelque nouvel échantillon de son savoir-faire. Thomas était un ancien marin. Il était vêtu d’une espèce de vareuse et coiffé d’un chapeau de toile cirée. Cette tenue nous en imposait fort, non moins que la chique de tabac qu’il faisait continuellement passer d’une joue à l’autre.

Mon ambition était naturellement de posséder un bateau du père Thomas. Ma mère ne résista pas