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aimait un peu trop, le gaillard, et cela ne lui a pas très bien réussi. Il n’est pas brillant, en ce moment, le gros Antoine, et il commence à se ressentir de la vie qu’il a menée. Oui, trop de petites fêtes, trop de veilles — et trop de lendemains, et aussi trop de sports… Bref, du surmenage, et l’obligation d’enrayer au plus tôt… Je ne lui ai pas caché mon sentiment. Je croyais le voir se rebiffer, mais il a filé doux. Il se sent du plomb dans l’aile, le pauvre diable ! Bah ! nous le tirerons de là. J’ai calmé la pauvre tante Bruvannes…

Tout en parlant, le docteur Tullier observait l’effet sur moi de ses paroles, puis, voyant que je demeurais imperturbable, il me tendit sa large main, haussa les épaules et ouvrit la porte, en me criant :

— Allons, adieu, et, à après-demain soir, sans faute, n’est-ce pas ?

Quand le docteur Tullier a été parti, je suis demeuré assez longtemps à réfléchir. Ce subit rappel d’Antoine Hurtin m’a troublé. Pourquoi Tullier m’a-t-il parlé de lui, comme il l’a fait ? Est-ce de la part d’Antoine une tentative de rapprochement ? Ce ne serait pas la première. Déjà Mme Bruvannes a essayé par ma mère… Mais Hurtin se trompe bien, s’il croit m’apitoyer par les nouvelles de sa neurasthénie. Au contraire, j’en éprouve une sorte de satisfaction mauvaise. Oui, je ressens une sorte de plaisir à penser qu’il va être privé du genre d’existence qu’il aimait à mener. Ce n’est pas très beau de ma part, mais c’est ainsi !