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Ces réflexions m’occupaient, et la vie, aux Guérêts, passait monotone et douce. Pas une fois, Madeleine ne me parla de Julien. Elle avait sans doute complètement oublié son échec de la rue de la Baume. De mon côté, je m’abstins de prononcer le nom de M. Delbray. Pourtant il m’arrivait parfois de penser à lui. Souvent, quand je me promenais seule dans la forêt d’Amboise et que mon pied foulait les premières feuilles mortes, il me semblait entendre un pas derrière le mien. Un jour que j’étais montée à la pagode de Chanteloup, et que, d’étage en étage, j’étais arrivée au haut de ce bizarre bibelot, j’éprouvai une sourde tentation d’enjamber la mince balustrade et de me laisser tomber en bas. Ce soir-là, je demandai à Jersainville de m’accorder l’hospitalité de son boudoir à opium. Étendue sur l’ottomane, en regardant vaguement les gentils chinois et les bons turcs qui, en compagnie des singes-médecins, décorent la pièce, j’aspirai longuement dans le boudoir consolateur la fumée d’oubli.

De retour à Paris, il me fallut bien aller voir Mme  Bruvannes, sous peine d’ingratitude. Mme  Bruvannes me témoigna grand plaisir de ma visite. J’appris d’elle que Julien avait passé la fin de l’été et l’automne à Clessy-le-Grandval, chez sa mère. Mme  Delbray avait écrit récemment à Mme  Bruvannes que son fils ne tarderait pas à la quitter. Quelques jours après, les Jersainville annoncèrent leur arrivée.

Je revois encore Madeleine — il y a juste quinze