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télégraphiait que ma tante la religieuse s’affaiblissait sensiblement.

Comment la bonne supérieure savait-elle où se trouvait l’Amphisbène, n’est-ce pas là un bel exemple des perspicacités monastiques ? J’aurais certes pu ajourner mon départ et attendre que l’Amphisbène, dont la croisière touchait à sa fin, me ramenât à Marseille, mais soudain ma résolution était prise. L’Isly, de la Compagnie Transatlantique, levait l’ancre, le lendemain, à midi. J’envoyai retenir une cabine. Sans retard, je me mis à faire mes malles et mes paquets, et, à l’heure dite, j’étais à bord de l’Isly, d’où je vous écris. Vous pensez quelle aura été, à son retour, la surprise de mon pauvre ami Delbray, qui ne pouvait vraiment s’attendre à rien de tel !

N’allez pas croire, pour rien au monde, mon cher Jérôme, qu’il s’agisse là d’un caprice de femme ou d’un manège de coquette qui veut se faire regretter. Non, le sentiment que j’éprouve pour Julien n’admet pas de pareilles fantaisies et de pareilles manœuvres. La résolution que j’ai prise est une résolution grave et qui, pour soudaine qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins réfléchie. Cependant rien, dans mes paroles ni dans mes façons, ne pouvait faire prévoir à M. Delbray un événement semblable. Décamper ainsi, à l’improviste, constitue à son égard un procédé affreux et dont il a dû ressentir vivement l’offense. Il a dû y avoir là pour lui quelque chose de douloureusement inexplicable. Notez, de plus, que les dernières heures que nous passâmes ensemble furent particulièrement tendres. Nous étions restés seuls sur le pont. La nuit était belle, chaude, parfumée. Il me parlait éloquemment de son amour. J’étais émue en l’écoutant, et d’autant plus que j’étais déjà décidée à saisir la première occasion de lui montrer qu’il