Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/359

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de transes et de joies cachées. Toutes, nous désirons être témoins et parties en ce jeu délicat et attrayant. Nous nous prêtons volontiers à toutes ses péripéties de cœur et je me préparais à jouir de toutes ses subtilités. Mais bientôt, je commençai à être inquiète et troublée. Oui, M. Delbray dépassait mon attente. Certes, je n’ignorais pas que Julien m’aimait, mais je découvrais soudain quelle violence, quelle intensité ce sentiment atteignait en lui. Vous en jugerez, quand vous saurez que j’ai été réellement son premier grand amour. Jusqu’alors M. Delbray avait été libertin ou sentimental, amoureux même, mais il n’avait jamais aimé. J’assistais en lui à la nouveauté de la passion. Et c’est une singulière chose, voyez-vous, qu’un homme passionné Comme cela donne à ses plus simples paroles une valeur particulière, un accent spécial !

M. Delbray m’aimait éperdument. C’était pour moi un fait certain. Mais moi, l’aimais-je également ? À quoi une femme peut-elle distinguer qu’elle aime véritablement ? Cette question me préoccupait extrêmement. Après y avoir sérieusement réfléchi, il me semble bien que le premier, le plus vrai signe d’amour est l’hésitation que l’on éprouve à s’avouer à soi-même cet amour. Et je me trouvais justement dans cet état. À cette preuve s’en ajoutaient d’autres. À quoi bon vous les exposer en détail ? Ce serait trop long et je ressens à vous en faire part une sorte de pudeur intime que vous ne sauriez blâmer. Enfin, pour vous résumer la situation, après un mûr examen de mes sentiments, j’acquis assez vite la conviction que j’aimais M. Delbray.

Cette constatation faite, vous supposez, mon cher Jérôme, que je n’ai plus maintenant à vous rapporter que des choses extrêmement simples. La logique, en effet, le voudrait ainsi. Quand un homme et une femme s’aiment,