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mine. Il semblait anxieux sur la durée de l’épreuve que nous subissions. Avouerai-je que je ne fus pas fâché de son inquiétude. Depuis le soir du dîner à Malte, j’étais un peu agacé des prévenances nouvelles qu’il manifestait pour Laure. Ces prévenances réveillaient mes vieilles préventions. Je n’aimais pas à retrouver en lui l’Antoine avantageux de jadis. Je préférais l’Antoine abattu et gémissant avec lequel je m’étais réconcilié. Aussi le regard angoissé qu’il me jeta en me demandant si je croyais que le mauvais temps durerait ainsi toute la nuit, me redonna-t-il de l’amitié pour lui. Je le rassurai. La Méditerranée est une mer capricieuse. Elle s’irrite aisément et se calme de même. Nous n’avions connu jusqu’alors que ses sourires, il était juste que nous lui pardonnassions ses incartades. En disant cela, je fais tous mes efforts pour conserver mon équilibre.

En sortant de la cabine d’Antoine, je pénétrai dans celle de Gernon. Le pauvre Gernon était très abattu. Accroché à un porte-manteau son mirifique complet vert faisait de grands gestes et se balançait comme un épouvantail, sous le chapeau tyrolien qui projetait des ombres bizarres et mouvantes. Gernon m’interrogea avec anxiété. Les circonstances nouvelles de son périple avaient calmé son enthousiasme maritime. Recroquevillé dans son lit, il semblait s’être ratatiné et avoir perdu le commencement d’embonpoint que lui avait valu la table de Mme Bruvannes. En réalité, il était terrorisé. Son fausset exaspéré décelait le trouble de son âme. On allait