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et tout bas, comme un reproche, comme une prière, je répétais ce nom : Laure, Laure !

Elle n’avait pas retiré sa main et, doucement, elle m’attirait vers un banc qui se trouvait derrière nous. Quand nous fûmes assis, elle fit glisser ses doigts d’entre les miens pour arranger le voile de son chapeau. Déjà toute ma hardiesse momentanée était tombée et je demeurais silencieux, le cœur battant, la gorge serrée. Ce fut elle qui parla la première :

— Allons, remettez-vous, mon pauvre Delbray, je sais bien que vous m’aimez, mais ce n’est pas une raison pour être triste. Écoutez-moi plutôt au lieu de faire cette tête de victime. Je suis bien aise que nous abordions ce sujet, d’autant plus que je n’ai rien d’affreux à vous dire.

Elle s’était inclinée pour cueillir un petit œillet poussé dans le sable de l’allée. Le poids qui l’oppressait abandonna ma poitrine. Le paysage qui avait presque disparu renaissait à mes yeux. De nouveau j’eus l’impression de la douceur de l’air, de la présence des choses. De nouveau, je perçus l’odeur des fleurs. Mme  de Lérins reprit :

— Oui, mon ami, je sais que vous m’aimez. Je crois même que vous avez commencé à m’aimer du jour où vous m’avez rencontrée chez Mme  Bruvannes. Dès que je vous ai connu, j’ai constaté que je ne vous étais pas indifférente. Je vous avoue que, pendant assez longtemps, j’ai supposé que je vous inspirais seulement de la sympathie et