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M. Delbray est arrangé avec un goût très personnel.

La console en question était placée dans une sorte de fumoir-bibliothèque qui semble être la pièce principale du logis de M. Delbray. Elle est garnie de larges divans, recouverts de tapis d’Orient et surchargés de coussins d’étoffes anciennes. Quant à la console de M. de Kérambel, c’était un fort beau meuble, en excellent état. Pendant que nous discutions, M. Delbray et moi, le prix qu’il conviendrait d’en offrir, Madeleine allait et venait à travers la pièce. Je la considérais du coin de l’œil, tout en causant. Ma belle amie semblait nerveuse et agitée. Elle examinait des bibelots qu’elle ne regardait sûrement pas, elle tirait, des rayons de la bibliothèque, des livres qui ne l’intéressaient nullement. Comme on dit vulgairement, elle avait quelque chose. Je ne l’avais jamais vue ainsi. Tout à coup, elle se laissa tomber sur un des divans. Elle appuya sa tête sur les coussins, tandis que son petit pied battait nerveusement le tapis.

Il n’y avait, dans cette attitude et dans ce geste, rien de singulier, n’est-ce pas ? Eh bien, mon cher Jérôme, je fus néanmoins frappée de l’impression de volupté lascive qui se dégageait de toute la personne de Madeleine. Cette lascivité émanait de son visage silencieux et de son corps immobile. Elle était si forte que j’en étais comme gênée et confuse. Soudain, j’eus l’intuition que j’assistais à un de ces brusques élans de désir qui avaient déjà poussé Madeleine de Jersainville dans tant de bras.

Oui, j’avais l’intuition subite que l’objet de ce désir était Julien Delbray. Et, lui, il n’était pas insensible à l’impudeur naïve de cette belle créature, étendue là, sur ce divan, aussi dévêtue dans sa robe, aussi amoureuse dans sa pose que si elle eût été couchée dans un lit ! Non, il n’y était pas insensible et je m’en apercevais à