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sans avoir envie de me mêler à eux. Aujourd’hui, je me réjouis de n’avoir rien à faire, ni course pressée, ni visites, ni promenade, ni rendez-vous. Je suis contente à la pensée de rester toute la journée en tête à tête avec moi-même. Il me semble que Paris m’intéresse moins que mes songeries.

C’est qu’aujourd’hui, mon cher Jérôme, j’ai à réfléchir sur un sujet sérieux. C’est pourquoi j’ai pris le parti de vous écrire. Mes idées me paraissent plus claires, quand je m’efforce de vous les exprimer sur le papier. Il s’y met un certain ordre qu’elles n’ont pas autrement, et qui ne m’est pas inutile pour parvenir à me débrouiller, car je ne suis pas ce que l’on appelle une nature méditative. Dès que je réfléchis, je me laisse aller aux caprices de mon imagination, tandis que, la plume à la main, je raisonne mieux les sujets qui me préoccupent. Dans ces intentions, j’ai fait placer près de moi une petite table à écrire. J’ai, à tout hasard, condamné ma porte. Je ne veux voir personne aujourd’hui. Je ne veux considérer devant moi que l’image de moi-même.

Ces préparatifs, qui ne manquent pas de solennité, vous montrent qu’il s’agit presque de quelque chose de grave. En effet, mon ami, j’ai certaines inquiétudes que je veux vous confier. Depuis quatre jours, par une suite de circonstances sans intérêt en elles-mêmes, il se trouve que je n’ai pas vu M. Julien Delbray, et, de ne pas le voir, je m’aperçois qu’il me manque. Or, mon cher Jérôme, c’est cela qui m’inquiète et qui me pousse à tâcher d’y voir clair en moi-même.

Vous savez, n’est-ce pas, la très amicale camaraderie qui existe entre M. Delbray et moi et quel parfait compagnon de promenade et de flânerie j’ai rencontré en lui. À cette camaraderie, vous savez combien je tiens ! J’aurais trop de peine à en retrouver une pareille. Aussi