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tends avec une anxiété amusée ce qu’il va me proposer. La chose décidée, nous partons, soit à pied, soit en voiture. Un jour, par exemple, comme je désirais acheter quelques-unes de ces verreries antiques aux parois irisées et qui semblent saupoudrées d’une poussière d’ailes de libellules, il m’a conduite dans une singulière petite boutique où j’ai trouvé exactement ce que je souhaitais. C’est rue Séguier qu’habite le vendeur de ces petites choses fragiles et mystérieuses. La rue Séguier, extraordinairement étroite, rend la boutique extraordinairement sombre. En vertu d’obscures similitudes, sans doute, le marchand est à la fois minéralogiste et empailleur. C’est un vrai commerce de sorcier que le sien. Je suis sûre que, le soir, ses oiseaux se changent en minerais et que ses minerais se transforment en oiseaux. Dans une vitrine, il a quelques-unes de ces fioles irisées qui semblent participer des uns et des autres. Il y a de la sorcellerie, certainement, dans tout cela, et puis, pourquoi cet homme vend-il ces verreries enchantées à un prix dérisoire ? M. Delbray est le génie de l’occasion. Jérôme, je suis tombée, je vous le dis, sur quelqu’un d’indispensable !

L’autre jour, comme je venais d’acheter dans la boîte de bouquiniste du quai un assez bel exemplaire dérelié des Sonnets de Pétrarque, M. Delbray m’a promis de me conduire chez un relieur pour faire réparer le volume. Ce relieur est un drôle de petit Italien de Sienne qui s’est fixé à Paris et qui habite rue Princesse. M. Delbray m’a raconté que ce Neroli — c’est le nom du Siennois — avait dû quitter son pays à la suite d’une histoire d’amour à la Stendhal. Il doit y avoir là dedans du stylet et du poison. M. Pompeo Neroli, en effet, n’a pas l’air commode, et, quand il manie son poinçon, il semble se ressouvenir du poignard national.