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cation et sa distinction d’esprit. J’avais chance de trouver en lui un agréable compagnon de courses à travers Paris. Peut-être était-ce un peu rapide de l’agréer ainsi sans façon, mais, après tout, n’étais-je pas libre de mes actions ? Ne suis-je pas une petite divorcée qui ne doit de comptes à personne et qui a bien le droit de passer son temps comme elle le juge à propos ? Quant à ce que M. Delbray pourrait penser de ma facilité à accepter ses offres, n’avais-je point pour répondante l’excellente Mme Bruvannes ? Restait à excuser mon sans-gêne. Ma qualité de demi-Américaine y suffisait amplement. Aussi, tous mes scrupules levés, répondis-je à M. Delbray en l’invitant à déjeuner à l’hôtel Manfred.

Tels furent, mon cher Jérôme, les débuts de relations qui, tout innocentes qu’elles soient, ne m’en sont pas moins des plus agréables et des plus profitables, car je devrai à M. Delbray des heures charmantes et utiles. Il est, en effet, charmant, et très habile acheteur. Je lui devrai donc quelques meubles à peu près authentiques. Je lui devrai aussi de connaître un Paris que, sans lui, j’aurais probablement ignoré. Il y a des Paris extrêmement divers dont je ne vous ferai pas l’énumération, et je ne vous enverrai pas un petit « essai » sur la capitale. Néanmoins, vous conviendrez bien qu’il y a, en gros, deux Paris : celui des étrangers et celui des Parisiens. Je connaissais à peu près le premier, mais c’est M. Delbray qui s’est chargé de m’apprendre le second.

Et c’est vraiment un Paris nouveau que m’a révélé M. Delbray. Ne croyez pas, du moins, que ces découvertes aient nécessité de grandes difficultés. Non, M. Delbray ne m’a pas organisé une tournée des grands-ducs ou des petites-duchesses. Il ne m’a menée dans aucun endroit dangereux ou suspect. Nous n’avons fréquenté ni les chiffonniers, ni les apaches, et nous n’avons pas eu