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j’allais vivre désormais, et le meilleur moyen m’a paru de m’en remettre au hasard, ou plutôt de me confier aux caprices du gentil Dieu de la flânerie.

Et j’ai eu bien raison d’agir ainsi. Il n’y a pas de meilleur guide dans Paris que Paris lui-même. Que de surprises il nous ménage ! Que de choses admirables il nous montre et que j’aime déjà passionnément ! Ses quais merveilleux, ses fastueux Champs-Elysées, son Luxembourg, sa place Vendôme ; et Montmartre ! J’y suis montée par un beau matin frais et clair. Ce fut une de mes premières promenades. De là, Paris entier m’est apparu, vague, mystérieux, énorme, précis. C’était donc cela, ce Paris où j’allais enfin vivre, qui allait m’offrir librement toutes ses joies, grandes et petites. Ah ! Jérôme, pensez donc, contempler à son gré le sourire de la Joconde ou le chic des mannequins de la rue de la Paix !

Si beau et si séduisant que m’ait paru Montmartre, ce n’est pas là cependant que j’habiterai. Je ne suis ni une bohême, ni une artiste, je suis une petite dame très convenable à qui il faut un logis paisible et commode. Aussi est-ce peut-être dans les bons vieux quartiers de la rive gauche que je le chercherai. Pour le moment, je n’ai rien décidé encore. Je suis encore tout entière au genre de vie que je vous décris. Il a bien des charmes, mais bientôt je me « rangerai » et je me conduirai comme une personne pleine de dignité et soucieuse de considération. De tout ce que je vous raconte, j’aurai grand soin de ne rien dire aux quelques vieilles dames que je connais ici et auxquelles il faudra que je fasse accepter ma nouvelle situation. C’est pourquoi, dans quelque temps, je saurai me résoudre à cesser mon vagabondage et à consacrer quelques heures de ma journée aux visites nécessaires. Jusqu’à présent, je le con-